- DÉCENTRALISATION THÉÂTRALE
- DÉCENTRALISATION THÉÂTRALEDÉCENTRALISATION THÉÂTRALEL’histoire de la décentralisation, c’est celle de tout le théâtre de France depuis le milieu des années 1940. Une histoire à la fois politique et esthétique qu’annonçaient déjà de grands mouvements d’avant-guerre, comme le Cartel. De quoi s’agit-il? De favoriser le théâtre d’art face au théâtre de commerce, d’échapper au public traditionnel en partant à la rencontre d’un public populaire, de sortir de Paris pour s’ouvrir à tout l’Hexagone.Dans cette perspective, l’action de Jeanne Laurent (1902-1989) à la sous-direction des spectacles et de la musique, de 1946 à 1952, est essentielle. Prenant en compte le travail des diverses équipes, elle est à l’origine des premiers centres dramatiques nationaux (C.D.N.), créés en 1946 — celui de l’Est, confié d’abord à Roland Pietri à Colmar et la Comédie de Saint-Étienne, dirigée par Jean Dasté. Suivent, deux ans plus tard, le Grenier de Toulouse, de Maurice Sarrazin, et le C.D.N. de l’Ouest d’Hubert Gignoux, enfin le C.D.N. du Gard, implanté à Aix-en-Provence, avec Gaston Baty à sa tête. C’est elle encore qui nomme en 1951 Jean Vilar, créateur du festival d’Avignon, à la tête du tout nouveau Théâtre national populaire de Chaillot. Si, après le départ de Jeanne Laurent, de nouveaux animateurs se révèlent, comme Roger Planchon à Lyon, la politique de l’État se réduit, elle, au maintien des structures existantes.Il faut attendre André Malraux et la création du ministère des Affaires culturelles, en 1959, pour que soit donné une nouvelle orientation à cette politique. C’est l’époque de l’extension du théâtre public avec la multiplication des C.D.N. et des troupes permanentes. C’est aussi celle des «cathédrales du XXe siècle», les maisons de la culture (M.C.) ouvertes au Havre (1961), à Bourges (1963), à Amiens (1966)... Mais c’est encore celle de la marche vers la rupture entre le pouvoir et les artistes, qui culmine en Mai-68 avec l’occupation de l’Odéon, les assises de Villeurbanne, les attaques contre Jean Vilar et le festival d’Avignon. Déjà marquée par la découverte de Brecht comme par la guerre d’Algérie, la décentralisation se radicalise, sur fond de contestation, autour de la réflexion sur la mission civique du théâtre. Pour les nouvelles générations, il ne s’agit plus de servir les utopies nées de la Libération mais de mettre en lumière aussi bien les contradictions de la société que celles comprises dans les termes «peuple» et «culture».En 1969, en même temps que de Gaulle, Malraux se retire, après avoir créé un nouveau maillon: les centres d’action culturelle (C.A.C.). Dès lors, la décentralisation, tout en s’organisant avec, notamment, la création du Syndicat des directeurs d’établissements culturels (Syndeac), connaît une ère de stagnation, malgré l’action de deux ministres, Georges Duhamel et Michel Guy. Au premier, elle doit le transfert du sigle du T.N.P. à Villeurbanne, la création des théâtres nationaux et celle des directions régionales d’action culturelle (D.R.A.C.). Au second, une effervescence retrouvée avec la nomination d’hommes nouveaux à la tête des institutions (Gildas Bourdet à Lille, Marcel Maréchal à Marseille) et la signature des «chartes culturelles» avec les villes.À partir de 1981, l’élection de François Mitterrand à la présidence de la République et la venue de Jack Lang à la tête du ministère de la culture donnent à la décentralisation un nouveau souffle. Outre une augmentation substantielle des subventions grâce à un doublement du budget de la Culture, une politique affirmée se met en place avec la création de nouveaux C.D.N. et des centres dramatiques régionaux (C.D.R.), et le rassemblement des diverses structures comme les maisons de la culture et les centres d’action culturelle (C.A.C.) sous un même label: les Scènes nationales. De plus, on assiste à la généralisation des D.R.A.C., présentes dans toutes les régions avec, dans un souci de déconcentration, un transfert notable de pouvoirs: chacune des directions du ministère de la Culture est représentée dans les D.R.A.C. par un conseiller nommé par le directeur, lui-même nommé par le ministre. Bien qu’avec moins de moyens, cette politique ne fut pas remise en cause par le successeur de Jack Lang au ministère de la Culture, Jacques Toubon (1993-1995). Elle offre une carte de France de la décentralisation que Jeanne Laurent n’aurait pas désavouée, avec ses 61 scènes nationales et ses 43 centres dramatiques, dont 5 théâtres nationaux... Et cela même si le risque de dérives — de l’asphyxie financière, faute de subventions, du désengagement de l’État au profit d’une «municipalisation» des théâtres — vient régulièrement troubler ses animateurs.
Encyclopédie Universelle. 2012.